17/07/2018
Françoiz Breut, à la renverse
Françoiz Breut en concert au 109 à Nice le 19 juillet 2018. Première partie la doublure + Documentaire Françoiz Breut, des rivages sibyllins de Coralie Martin.
Je me souviens encore très bien de ma première rencontre avec la musique de Françoiz Breut. C'était en 2000 à l'époque de la sortie de son second album Vingt à trente mille jours. Je déambulais dans les allées de la FNAC de Nice encore installée à Nicetoile quand mon oreille a été accrochée par la mélodie épique de la chanson qui donne son titre à l'album. Elle évoquait une course éperdue, implacable, avec ligne de basse, percussions et éclairs de guitare, survolés par une voix claire et forte avec une pointe de fragilité, à la fois douce et assurée, la voix de Françoiz Breut qui me séduisit en quelques secondes. A quoi ça tient, parfois... Et puis il y avait cette idée du temps et d'une vie ramenée à un chiffre brutal mais lucide qui me rappelait Nanni Moretti et son mètre ruban dans Aprile, sorti deux ans plus tôt. Le temps qui passe, le temps qui reste, l'urgence de vivre, tout ceci exprimé de façon si simple et si terrible. Évidente. J'avais pris la chanson en marche et le morceau qui suivit acheva de me convaincre. C'était une reprise de La Chanson d'Hélène, paroles de Jean-Loup Dabadie sur la musique composée par Philippe Sarde pour Les Choses de la vie (1970) de Claude Sautet. Cette collision cinéphile et musicale ne pouvait être un hasard mais bien une de ces rencontres précieuses destinées à durer. Les arrangements de Luc Rambo et la voix de Françoiz donnaient à cette chanson une gravité inédite tandis que Joey Burns du groupe Calexico récitait les parties dites à l'origine par Michel Piccoli. C'était, ça reste, superbe. La découverte de l'album vite acquit confirma ce coup de foudre et j'allais de plaisir en plaisir avec des titres comme Derrière le grand filtre, Si tu disais, L'origine du monde, Le verre pilé... J'aimais cette poésie des sentiments entre espoir et mélancolie, joie et langueur, tendresse et blessures. Je ne me lassais pas de ces histoires de voyages désirés, d'hommes comme des enfants et d'amour qui parfois sont dans l'impasse, parfois donnent l'indispensable élan vital « Et moi je marche à tes côtés ».
Photographie Marco Kany (CC)
A partir de là, Françoiz Breut est devenue un pilier de ma discothèque. Un album à rattraper qui porte son nom en 1997, puis quatre albums à sortir : Une saison volée (2005), À l'aveuglette (2008), La Chirurgie des sentiments (2012) et enfin Zoo en 2016. Cela peut sembler peu, sur vingt ans, mais c'est régulier et cela a suffit à nourrir une admiration jamais démentie et la joie à fréquenter son monde. Vingt à trente mille jours était en outre une porte ouverte en grand sur tout un courant musical que j’appréciais déjà ou que j'allais découvrir à l'occasion. Dominique A bien entendu, qui après plusieurs duos dont la fameuse rencontre au Twenty two bar sera la cheville ouvrière des deux premiers opus. Il y avait bien un homme dans les coulisses. Plusieurs même : Philippe Katerine, Yann Tiersen, Pierre Bondu, Gaëtan Chataigner de The Little Rabbits, Sacha Toorop de Zop Hopop ou encore Fabrice Dumont de Autour de Lucie. A la même période elle enchaîne duos et collaborations avec Louise Attaque (La Plume), Calexico (The Ballad of Cable Hogue, du titre d'un film de Sam Peckinpah !), Da Silva (La Confession) et encore Tiersen pour les Black Sessions (Les Forges).
Une saison volée m'avait fait découvrir une autre facette de son talent, le dessin. Une facette qui m'ouvrit sur son travail pour des livres pour enfants que je m'empressais d’offrir aux miens : Le Bobobook ou Le jour où j'ai trouvé une vache assise sur mon frigo. Ce goût du dessin s'est aussi traduit par plusieurs clips utilisant l'animation : celui de Loon-plage par Joanna Lorho, La Danse des ombres par Daniel Daniel ou encore les envolées dans les nuages de Nébuleux bonhomme par Charlie Mars. A vrai dire je n'avais pas fait attention qu'elle avait déjà illustré le livret de l'album précédent et j'ai appris par la suite qu'elle était venue à la chanson via son travail graphique sur celui de Si je connais Harry, second album de Dominique A. C'est à cette occasion qu'il l’encouragea à chanter sur certains morceaux (sous le nom de Françoiz Brr) avant de l'aider sur ses propres albums. Puis assez vite elle affirmera son écriture, développant son univers par petites touches, sans rupture, avec la collaboration essentielle de Stéphane Daubersy « guitare, chœurs et tout un programme » à partir de La Chirurgie des sentiments puis Zoo où interviennent Antoine Rocca aux claviers et Patrick Clauwaert à la batterie, un album enregistré outre-manche par Adrian Utley, guitariste de Portishead.
Chaque album possède ses pépites et ses éclairs. L'ensemble est d'une poésie intime marquée de pointes mélancoliques et de touches d'humour, décontracté comme son Adam de Le Jardin d'Eden, scandé comme l'hymne à la jeunesse de Les Jeunes pousses, maîtrisé comme personne. Ses chansons touchent juste, frappes chirurgicales et sentimentales qui vont droit au cœur. Chacun aura les siennes, celles qui résonnent un peu plus plus profond pour lui, qui savent lui chuchoter des mots sculptés avec délicatesse à l'oreille. Difficile pour moi de faire un choix, entre l'espoir amoureux traversé d'angoisse de Km 83, l'espoir après la rupture de Michka Soka, les beaux textes dédiés aux villes du Nord, Dunkerque et Bruxelles dans BXL Bluette, la tendresse naïve de Le Premier bonheur du jour, le rêve de Deep Sea Diver, les Morlocks inspirés de H.G. Wells ou le bestiaire délirant de Zoo... Il faut entrer dans le monde Françoiz Breut, faire le voyage dans ses vers, lâcher prise dans ses accords. Rendez-vous à la renverse, rendez-vous au 109, le 19 juillet.
16:05 Publié dans Ici et maintenant, Morceaux en forme de poire | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : françoiz breut | | del.icio.us | Facebook
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