09/02/2011
Processus créatif
The promise est un objet superbe et déconcertant. Un ensemble à décrypter soi-même pour l'apprécier, ce qui demande un minimum d'efforts et pose peut être plus de question qu'il n'apporte de réponses.
Objet superbe, ce coffret propose le fac-similé d'un carnet de Bruce Springsteen, les pages sur lesquelles il écrit ses chansons, ses textes avec les hésitations, les ratures, les rajouts, les notes, la recherche du mot juste. L'objet est beau par lui-même mais n'est pas livré avec un mode d'emploi (ou si peu), comme s'il nous l'avait confié à l'issue d'un concert ou mieux, après une rencontre. Il y a là quelque chose d'intime, de proche qu'il met dans sa relation avec son public, ses fans, qui est bien dans sa manière.
Maintenant, l'objet n'est pas donné non plus, mais c'est compensé par ce qui accompagne ce document brut. Pour le décrypter, il faut le relier à la musique et aux images qui l'accompagnent. La partie musique se compose de l'album Darkness on the edge of town, sortit en 1978 et remastérisé pour l'occasion (c'est la mode). Ce n'est pas l'album que je j'écoute le plus souvent (moi, ça serait plutôt The wild, the innocent and the E-Street shuffle), mais c'est plein de grands classiques comme Racing in the streets ou Badlands avec deux morceaux atypiques et superbes : Factory et Candy's room. Ce n'est pas pour cela qu'on va acheter le coffret. Le gros morceau, c'est The promise, double album qui est ce que Darkness... aurait pu être si le Boss n'était pas le Boss et que cette période intensément créative, marquée par des déboires judiciaires avec son bientôt ex-manager et des tensions avec son groupe, ne l'avait poussé à se remettre encore et toujours en question. Perfectionniste et déterminé, obstiné, il travaille, compose, reprend et finalement accouche de l'album aux tonalités sombres mais pas que (Promised land) bien connu.
D'une certaine façon, The promise est un peu ce que sera en 1980 le double The river. Mélange des genres, enjoué et mélancolique, ludique et romantique, foisonnant là où Darkness... sera finalement d'un bloc.
Ce n'est pas évident mais The promise ici proposé a été bien évidemment travaillé aux standards 2010 avec parfois l'intervention des musiciens d'aujourd'hui comme dans Someday (Well'be together). Ce n'est pas non plus un recueil d'inédits, la majorité des chansons étant sorties soit dans les albums live officiels (Fire, Because the night), soit dans le magnifique coffret Tracks (Rendez-vous) et son prolongement light (The promise, la chanson). Et je ne parle des éditions parallèles. Ici, les morceaux retrouvent une sorte d'ensemble qui se veut cohérent, du moins voulu par leur créateur. Ce travail pose les limites de l'exercice. The promise n'est pas tant le premier jet de Darkness... que la vision qu'en a Springsteen trente ans plus tard. Y a t'il tromperie sur la marchandise ? Ambiguïté seulement. The promise n'existe pas puisque c'est Darkness... qui existe, mais The promise est à écouter à la lumière du fameux carnet (ou le carnet à lire à la lumière de l'album), et l'ensemble donne à approcher le travail créatif en progression qui va aboutir à l'objet fini Darkness... D'où l'impression déroutante aux premières écoutes d'un album qui coince aux entournures, chansons inégales, impressions à peine atténuée par le travail de relecture de 2010. mais l'on comprend alors comment et pourquoi Candy's boy est devenu Candy's room, comment Come on (Let's go tonight) est devenu Factory, pourquoi des morceaux plus enlevés ou joyeux comme Talk to me ou Ain't good enought for you ont été écartés. On pourra s'amuser à retrouver les cris de fête de ce dernier dans Sherry darling de The river, tel phrase recyclée dans une autre chanson. On pourra s'étonner, comme à l'époque de Tracks, de l'élimination de chansons superbes comme Spanish eyes ou se réjouir de la mise à l'écart de choses plus anecdotiques. Curieusement, avec le temps, l'album finit par s'imposer comme autonome (plutôt le second disque en ce qui me concerne) et trouve sa place entre les deux opus officiels.
La partie image propose du solide. Un documentaire sur la fabrication de l'album The promise : the making of Darkness on the edge of town réalisé par Thom Zimmy (J'y reviendrais sur Inisfree) pasionnant évidemment de bout en bout. Un second DVD propose une interprétation live de l'album en intégral, au Paramount Theater d'Asbury park, lieu culte s'il en est, par le E-street band en 2009. Plongés dans une lumière de film noir à la James Gray, Springsteen et son groupe jouent les 10 chansons avec une énergie toujours bluffante, avec une sorte de gravité qu'ils ont pris sans doute avec l'âge. Peut être aussi comme le soupçonne le bel article sur 7 and 7 is, le groupe ressent-il désormais la perte de l'un de ses membres, Danny Federici décédé en avril 2008. Thrill hill vault 1976-1978 est un ensemble hétéroclite et remarquable d'essais de studio, répétitions et concert, qui par son côté en vrac est d'une aide précieuse au décryptage de l'ensemble. Sans commentaire à postériori, il donne à voir le travail quotidien, les prises interrompues, les moments magiques où tout se met en place. L'interprétation de The promise et un beau moment qui m'éclaire sur la raison qui fait que je n'ai jamais complètement adhéré à cette chanson. Le texte est brillant, mais malgré des passages musicaux où passe l'harmonie de jeu du groupe, elle manque d'un petit quelque chose qui l'aboutirait pleinement, ce qui explique sans doute que Springsteen ne l'a jamais retenue.
Pièce de résistance pour finir, un concert à-priori complet de la tournée 78 (la meilleure, la meilleure) à Houston. Les images portent leur âge (malgré quelques effets qui semblent avoir été rajoutés) mais du coup, avec leurs défauts, elle forment un voyage dans le temps inoubliable. Ce sont les images imaginées sur les plus enthousiasmants de nos bootlegs. C'est le bonheur !
Sur 7 and 7 is
10:23 Publié dans Morceaux en forme de poire | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : musique, bruce springsteen | | del.icio.us | Facebook