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13/06/2008

Manchette, le journal 1966 - 1974

Dévoré rapidement le Journal de Jean-Patrick Manchette 1966-1974. Enfin, il serait plus réaliste d'écrire 1968-1974 car Manchette commence à remplir ses cahiers le 29 décembre 66 et ne fait que quelques entrées en 1967. J'ai un sentiment de réticence face aux journaux intimes. En fait je crois en avoir lu très peu. Je préfère les mémoires. Je trouve paradoxal de tenir un journal dit intime quand on sait qu'il sera lu et donc perdra ce caractère intime. Du coup, je me pose toujours la question de la sincérité et du calcul. Manchette annonce clairement la couleur, il écrit pour être lu. Et il fait d'ailleurs lire ses cahiers à sa femme. A un autre moment, il avoue ne pas se sentir capable d'écrire sur ses sentiments, notamment à l'égard de sa famille. Il pose également des limites en ce qui concerne son couple. C'est honnête.

Ceci posé, cette lecture est remarquablement prenante parce qu'elle donne à voir de l'intérieur la construction d'un romancier. Ce journal est ouvert quand Manchette a 24 ans. Il est déjà marié à Mélissa et a un enfant, Tristan, futur Doug Headline responsable aujourd'hui de la publication du pavé. En 1966, Manchette n'est pas encore l'homme qui va révolutionner le polar français. Il vit difficilement de petits boulots, déjà proches de la littérature (scénarios pour Max Pecas et pour la télévision, courts-métrages pédagogiques, synopsis et adaptation). Il a encore envie de faire carrière dans le cinéma en « écrivant de [sa] plume ». La période considérée le voit écrire ses premiers romans noirs, L'affaire N'Gustro d'après l'affaire Ben Barka, Ô dingos, Ô chateaux !, Nada et Morgue pleine. Il se lance dans la traduction et travaille toujours régulièrement pour le cinéma, multipliant les contacts avec les réalisateurs Claude Chabrol, qui adapte Nada en 1973, Jean-Pierre Mocky et Yves Boisset qui travailleront sur Ô dingos, Ô chateaux. La collaboration avec Mocky sera un désastre et Boisset finit par faire le film avec l'aide de Sébastien Japrisot. Parallèlement, Manchette poursuit sa formation en lisant une incroyable quantité de livres (beaucoup de romans noirs, de science fiction, de fantastique et d'ouvrages politiques) et en voyant une grande quantité de films à la télévision comme au cinéma. On le sent petit à petit se détacher de l'envie du cinéma pour se retrouver à l'aise avec celle de la littérature noire. L'expérience du film Mésaventures et décomposition de la compagnie de la danse de la mort dont il écrit le scénario à partir de 1968 l'amène à reconsidérer une carrière de mise en scène. C'est Jean-Pierre Bastid qui le réalise. L'expérience est un désastre et le film ne sortira jamais. Un peu plus tard, quand Claude Berri lui parle de diriger l'adaptation de Ô dingos, Ô chateaux !, Manchette ne se sent pas et refuse. Encore plus tard, définitivement romancier, il avouera qu'il n'aurait pas eu la patience ni l'énergie nécessaire à un tournage. L'envie d'être tranquille et complètement maître de sa création.

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Son journal comprend de longues listes des films et livres qu'il voit, revoit, lit et relit. Les appréciations sont souvent lapidaires (« Merdeux », « Sublime », « Très bien fait »...) et parfois, il développe son opinion, posant les bases de sa conception de la littérature, de la politique et du cinéma. Ainsi du film Ice de Robert Kramer qui lui fait une forte impression et qu'il analyse en profondeur sous l'angle politique. Il a une nette prédilection pour le cinéma américain de la grande époque hollywoodienne, 1920-1960 grossièrement, révélant l'une de ses sources majeures d'inspiration (les films de Hawks, Boetticher, Fuller, Aldrich, Ford aussi) et posant les bases de sa théorie critique qu'il illustrera lors de ses chroniques à Charlie Hebdo (regroupées dans Les yeux de la momie). Il considère que ce cinéma de l'Age d'or ne peut plus être fait car il correspond à celui d'une nation (les USA) alors en pleine expansion triomphante. La beauté de ce cinéma naît du mouvement conquérant de l'idéologie qu'il illustre. Le cinéma se révèle pour lui incapable d'accompagner la période de troubles et de doutes des années 60 et 70, condamné au mieux à copier les grands anciens. Tout ceci ne l'enthousiasme guère, même s'il reste ouvert au cinéma de son temps et qu'il apprécie outre Kramer, des films de Truffaut, Chabrol et quelques autres. C'est souvent féroce, parfois décontenançant quand il fait la fine bouche devant Peckinpah tout en appréciant Little big man d'Arthur Penn. Il n'est pas resté jusqu'à la fin du Peau d'Âne de Jacques Demy. La succession des nombreux films vus à la télévision m'a fait un drôle d'effet parce que passé 1970, je commençais à retrouver des titres que j'avais sans doute vus enfant au même moment comme Les pirates du rail de Christian Jaque en février 1971.

Outre son intense activité culturelle, le journal rend compte de sa non moins intense activité professionnelle. Sa capacité de travail est impressionnante, ce qui ne l'empêche pas de piétiner la valeur travail en tant que telle. On le sent acharné à réussir, multipliant les indications de rentrées et de sorties d'argent, les calculs savants, les plans soigneusement mis en oeuvre. Ce n'est pas tant pour la réussite en elle même que pour assurer, sa véritable obsession, le confort de sa famille et son indépendance. S'il donne finalement peu d'indications sur l'écriture même de ses oeuvres, il relate fidèlement les temps de travail, les démarches et rendez vous, les collaborations, les rencontres liées à son activité. Défilent Véra Belmont, ADG, Jean-Pierre Mocky, Claude Chabrol, Jean-Pierre Bastid, Marlène Jobert, Bernadette Laffont qui lui donne dans un bar une brique en liquide pour un scénario. Heureuse époque.

Plus lourdes parfois sont ses analyses politiques, quoique le mot ne rende pas compte de l'étendue de son champ d'observations. Car Manchette observe son époque : Mai 68, le Vietnam, Pompidou, Le Chili, l'URSS, l'Espagne de Franco, les grèves, le terrorisme, les guerres du proche-Orient... Non sans humour, mais sans cacher une certaine douleur, il constate la contradiction entre ses positions proches des anarchistes et des situationnistes qui l'amènent à souhaiter la révolution et l'effondrement du monde dominé par les systèmes capitalistes et communistes ; tout en ne voulant pas renoncer à sa carrière ni à ce bien être qu'il se bat pour obtenir à sa famille. Ses analyses de textes politiques et philosophies sont un peu, un tout petit peu, petit peu pénibles. Mais il ne perd que rarement son sens de l'humour. Plus amusantes, plus édifiantes aussi, sont les coupures de journaux, ici reproduites, qu'il colle pour illustrer la bêtise du monde. Une historiographie convaincante qui garde souvent sa pertinence aujourd'hui. Hélas.

Reste la part intime. Difficultés relationnelles avec ses parents, amour pour sa femme et son fils, problèmes de santé déjà et de fatigue souvent, détails domestiques comme ses démêlés avec sa voiture. Il les mentionne sans s'y attarder. Reste que sa façon récurrente d'écrire tout simplement combien il aime sa femme est véritablement touchante au sein d'une écriture mordante et parfois féroce.

A lire évidemment avec, en complément, le numéro 11 de la revue Temps noir, comprenant photographies de jeunesse (c'est pas gai Malakoff), le scénario de Mésaventures et décomposition de la compagnie de la danse de la mort, quelques autres inédits et des entretiens avec le grand homme. Et puis tous ses livres.

 

Manchette dans La boutique

Sur le site Fabula avec extraits

Sur le site Causeur

Le site Manchette

15/09/2005

J'adore Jacques Tardi

J'adore Tardi. J'apprécie son goût pour le noir et blanc, son trait à la fois classique façon ligne claire et moderne. J'aime son sens du détail, la justesse des expressions et des mouvements. Je partage, disons assez largement, ses valeurs, son discours politique, un peu anar, antimilitariste et anticlérical. Même s'il y va parfois à gros traits, il me fait toujours rire. Je partage aussi sa fascination pour l'Histoire, la Commune et la Grande Guerre en particulier, qui sont bien deux évènements capitaux pour comprendre notre monde d'aujourd'hui. J'aime aussi ses personnages, leur façon d'être décontracté comme Burma ou Adèle, leur réticences parfois à vivre l'histoire dans laquelle ils évoluent. Cela donne de jolis moments : « ça ne m'intéresse pas » ou encore « ca suffit, je rentre chez moi ». J'aime ses références visuelles à Jules Verne, les machines impossibles des aventures d'Adèle et du démon des glaces. J'aime son sens de l'aventure et du feuilleton. Adèle où la Commune, c'est Dumas ! Et puis j'aime aussi sons sens de l'épopée. Sa Commune est la même que celle de Watkins, une grande aventure tragique et politique qui fait vibrer. J'aime enfin sa prédilection à mêler la bande dessinée avec la littérature et le cinéma, son travail avec Daeninckx et Pennac, ses adaptations de Céline, Vautrin, Malet et aujourd'hui, Manchette.

Sort en effet Le Petit Bleu de la Côte Ouest dont Deray avait tiré Trois Hommes à Abattre avec Delon. Film moyen mais l'un des meilleurs (si ce n'est le meilleur) des romans noirs de Manchette.

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Mais si j'adore Tardi, c'est par sa façon dont il fait vivre Paris. Cet homme doit avoir des montagnes de documents. Ou alors, il possède une machine à remonter le temps et il a la gentillesse de nous faire partager ce miracle via ses dessins. Je suis toujours épaté de la vie qui se dégage de ses rues, de ces façades ordinaires, des voitures, des objets, des ambiances. Des pavés de la Commune de 1871 au Jardin des Plantes de La Débauche en passant par les Paris de la Belle époque, des années folles et des années 50, c'est pour moi un ravissement. Sur le dernier album, je suis d'autant plus enthousiaste qu'il s'agit du Paris de mon enfance, celui des années 70. déjà, dans Casse Pipe à la Nation, je retrouvais des rues du 12e arrondissement, le quartier de mon enfance. Dans ce dernier album, je retrouve les voitures, les objets, les livres, l'ambiance, presque les odeurs de ces années là. Il y a une vignette qui m'a touché : on y voit un personnage lire un numéro de Strange. Toute mon enfance.