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07/03/2008

La stratégie des antilopes

Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais Juvenal Habyarimana est abattu au moment d'atterrir à Kigali, la capitale. Dans les heures qui suivent, les extrémistes Hutus de l'armée, de la garde présidentielle et des milices interahamwe éliminent les opposants Hutus dont le premier ministre Agathe Uwilingiyimana et enclenchent le mécanisme du génocide de la minorité Tutsie. Le génocide durera trois mois, impliquant étroitement la population Hutue dans les tueries de masse. Il fera environ 800 000 morts et s'achève lorsque le FPR (Front Patriotique Rwandais) composé de rebelles Tutsis venus de l'extérieur obtient la victoire militaire totale.

Jean Hatzfeld, journaliste, correspondant de guerre pour Libération, a couvert le Rwanda après les massacres. Ce sera pour lui un tournant décisif et il va consacrer désormais la plus grande part de son existence à étudier le génocide. Il va se focaliser sur le district de Nyamata, dans le sud. Là ont eu lieu deux massacres de masse dans les églises de la ville de Nyamata et à N'tarama dès le début, les 14 et 15 avril 1994. Ensuite, les cultivateurs Hutus, armés et encadrés par les miliciens, vont traquer les Tutsis dans les marais de papyrus au nord et dans la forêt de Kayumba. Traque méthodique et cruelle envers ceux qui étaient leurs voisins. Un génocide de proximité. Un mois plus tard, l'arrivée du FPR chasse les Hutus vers le Congo. Les soldats du FPR relèveront 50 000 cadavres et sauveront moins de 3000 rescapés.

« Je dis souvent qu'une guerre, c'est comme un fleuve qui déborde. Il inonde tout ce qu'il y a autour, c'est quand même une rivière qui coule. Un génocide, c'est quand la rivière s'assèche : il n'y a plus rien. Tant que je vivrai, je retournerai à Nyamata. Même si je sais que je ne comprendrai jamais." » (Le Monde, mars 2002 - Brigitte Salino)

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De ses nombreuses rencontres, Hatzfeld va tirer un premier livre, Dans le nu de la vie en 2001 (Éditions du Seuil), composé d'entretiens avec les rescapés des marais. En 2003, il interroge au pénitencier de Rimila une bande de tueurs dans Une saison de machettes (Éditions du Seuil), ouvrage impressionnant où l'auteur s'interroge simultanément sur ce livre qu'il est en train de faire. Le cycle se termine (provisoirement) l'an passé avec La stratégie des antilopes (toujours le Seuil).

Ce troisième ouvrage est à la fois plus complexe et plus déroutant que les deux précédents. Suite à la politique de réconciliation mise en place et imposée par le nouveau pouvoir du président Kagame (ex-chef du FPR), un certain nombre de tueurs ont été libérés en 2003. Il faut dire que la défaite des Hutus avait provoqué un exode de près de deux millions de personnes effrayées par les perspectives de vengeance puis ramenées manu miltari par le FPR. Ensuite, dans ce petit pays ravagé où tant de monde avait participé aux tueries, il a fallu de façon inédite concilier la reconstruction, la justice et la restauration d'une unité nationale. D'où cette situation étonnante des victimes rescapées et de leurs anciens bourreaux sommés de cohabiter à nouveau ensemble. Dans une communauté essentiellement paysanne comme celle de Nyamata, où c'est le voisin qui a découpé la famille de son voisin à la machette, l'idée qu'ils puissent se croiser au marché ou sur la route en se saluant poliment donne le vertige.

Jean Hatzfeld a donc retrouvé tant les rescapés du premier livre que les tueurs du second et les a interrogé sur cette situation, sur la façon dont ils la vivent, mais aussi sur l'image du génocide et sa mémoire près de quinze ans après les faits. Plus complexe, le livre passe d'une thématique à l'autre, d'un récit de survie dans la foret de Kayumba à des considérations sur les tribunaux coutumiers Gaçaça mis en place pour assurer l'exigence de justice ; de l'histoire incroyable du mariage entre Pio, le tueur, avec Josianne, la rescapée à la place de la religion et de Dieu. L'ouvrage livre aussi les interrogations de l'auteur sur son travail ainsi que ses comparaisons avec le génocide juif. Il montre également, et ce sont les plus beaux passages, la profondeur de la pensée des rescapés, leur détresse parfois mais aussi leur volonté de vivre. Hatzfeld leur laisse très souvent la parole et retranscrit sans doute avec beaucoup d'attention un français superbe aux expressions délicieuses et policées contrastant souvent avec la teneur tragique des propos. Il y a également quelques lignes admirables sur la beauté du pays, la beauté de l'Afrique. Et encore quelques lignes terribles sur les hommes, les africains comme les occidentaux. Un peu déroutant, cette construction en « bonds d'antilope » n'a pas la rectitude des deux précédents ouvrages. C'est plus un kaleidoscope ou un puzzle dont le lecteur comme, on le pressent, l'auteur, cherche à assembler les pièces pour lui donner un sens. Mais il n'y a pas plus de sens à Nyamata qu'a Auschwitz juste une réflexion sur l'humanité.

 

Les livres de Jean Hatzfeld

Photographie : Echecs 64

27/02/2008

Rions un peu

Heureusement que le rire console de pas mal de choses. Si notre omniprésident vous déprime ou vous irrite, vous pouvez vous détendre un moment avec la Chronique du règne de Nicolas Ier de Patrick Rambaud. Dédié, entre autres, à André Ribaud, cette chronique des premiers mois du sarkozysme triomphant se place dans la filiation du Régne et de la Cour qui épinglaient les années 60 de Mongénéral dans Le Canard Enchaîné (avec les dessins de Moissan). Ton de mémorialiste, français raffiné du XVIIeme, ironie mordante, précision des portraits, Patrick Rambaud déploie avec talent toute la panoplie.

« C’est une chronique des six premiers mois du règne de Sarkozy, que j’ai voulue distante, vieillotte, quelque chose dans le genre de Saint-Simon. Les titres que vous avez évoqués sont un des moyens de créer cette distance. Je voulais pouvoir dire un maximum de choses sur le ton le plus léger possible. Quand Sarkozy a gagné l’élection, j’étais assez abattu, je n’avais pas le moral. Et puis un jour, chez Grasset, j’ai dit : « Il y a une chose que je pourrais faire, qui serait peut-être drôle, c’est ce que faisait André Ribaud au Canard enchaînédans les années 60, sur de Gaulle: “La Cour”. » (source : Leosheer)

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Comme quoi mon premier paragraphe est bien informé. Sans doute très au fait du petit monde parisien, Patrick Rambaud a tenu une comptabilité attentive des faits et des gestes de chacun. Son volume permet déjà de prendre un peu de recul sur une succession d'évènements menés tambour battants et dont le rythme imposé cherchait, et cherche encore, à neutraliser la temps de la réflexion. Nous retrouvons donc, en compagnie de la baronne d'Ati, du chevalier de Guaino, de la marquise de La Garde et autre duc de Sablé, les grands moments de notre Merveilleux Leader. L'élection, les vacances aux États Unis, le feuilleton avec l'Impératrice, la réforme judiciaire, la réforme des retraites des régimes spéciaux et les grèves de l'automne, le débauchage de l'ouverture. Tout y est, rien ne manque. Rien sauf Carla, mais notre Sentimental Leader est si rapide. Ce sera pour un second tome, une chronique supplémentaire a déjà été publiée sur le Nouvel Observateur. Et l'on en rit. Ce n'est pas de la grande littérature mais du bon boulot, ça se lit vite et ça fait du bien.

Le livre sur La boutique

05/02/2008

Nuit et brouillard

Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit dans le camp, qui a fait de ma vie une longue nuit, sept fois maudite et sept fois scellée. Jamais je n'oublierai cette fumée. Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants, dont je vis les petits corps se changer en rubans de fumée sous un ciel bleu silencieux.
Jamais je n'oublierai ces flammes qui ont consumé ma foi pour toujours.
Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé, pour toute l'éternité, du désir de vivre. Jamais je n'oublierai ces moments qui assassinèrent Dieu et mon âme et réduirent mes rêves en cendres. Jamais je n'oublierai ces choses, quand bien même je serais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu Lui-même. Jamais.

La nuit – Elie Wiesel

Éditions de Minuit

28/12/2007

Les aventures d'un branleur

J'ai découvert l'univers de Joe Matt avec son premier album Peep-Show paru en 2001. Il est de retour avec un nouvel opus au titre éloquent : Épuisé. Étalé sur son lit, le corps enfoncé de dos dans un matelas, notre héros git comme une loque au milieu de mouchoirs en papier froissés. L'aventure commence.

J'avais craint que ce genre de récits dessinés nourris à l'autobiographie et aux expériences personnelles de devienne aussi lassant que ce qu'ils sont trop souvent au cinéma, mais non. De Marjane Satrapi (Persépolis) à Nicolas Wild (Kaboul disco), de Manu Larcenet (Le combat ordinaire) à Harvey Pekar (American Splendor), de Chester Brown (Le playboy) à l'illustre Art Spiegelman (Maus), je suis passé avec ravissement d'un univers à l'autre. Peut être suis-je toujours bien tombé, mais je me suis passionné pour toutes ces histoires et les tiens pour le meilleur de la bande dessinée actuelle, à quelques exceptions près.

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Joe Matt est un admirateur de Robert Crumb et se glisse dans les pas de son modèle. Son autoportrait, (jusqu'à quel point ?) est impitoyable, d'une précision d'entomologiste et d'un humour cru à point. Dessinateur, Joe est en proie à de nombreuses manies obsessionnelles. Il peut devenir fou face à des situations très ordinaires, folie qui transforme les souris en montagnes infranchissables. Ainsi il prend l'habitude de faire pipi dans un bocal plutôt que d'utiliser les toilettes communes de l'immeuble où il habite, tellement il est angoissé de croiser ses voisins. Bien sûr, le bocal finit par lui poser des problèmes. Collectionneur maniaque, il cherche à vendre certaines de ses pièces les plus chères pour le regretter aussitôt l'affaire conclue. En passant, je dois à Joe Matt la découverte du travail de Franck King (Lien). Joe a un but dans la vie : arriver à vivre de ses rentes. Il attend que les intérêts de son maigre capital soient suffisants pour lui assurer sa subsistance. Il se prive donc de tout avec de savants raisonnements qui font se bidonner, parfois se mettre en colère, ses amis Chester et Seth. Joe est le champion des radins.

 

Le pire, le meilleur pour le lecteur, c'est sa vie sexuelle. Avec une cruauté hilarante, Joe Matt nous dévoile une personnalité d'obsédé sexuel haut de gamme. Ses fantasmes, son sale caractère et sa timidité maladive lui avaient déjà fait perdre sa petite amie Trish. Dans Épuisé c'est le porno qui a pris toute la place dans sa vie. Bien qu'il se lamente de l'absence d'une compagne, Joe passe son temps à compiler des vidéo sur d'improbables durées, usant ses nuits en plaisirs solitaires, culpabilisant de ne plus pouvoir travailler, fébrile, pitoyable et touchant pourtant. Je ne saurais trop vous conseiller de faire la connaissance de Joe.

 

L'album Épuisé

Joe Matt sur Myspace

La page de Joe Matt sur Drawn and Quarterly

Une critique sur Benzine

Joe Matt, portrait de l'artiste en branleur sur Fluctuat

Une belle case

 

21/12/2007

René Goscinny dans le texte

«La honte de rire vient de la crainte d'être surpris en état de moindre défense.»

«J'ai la faiblesse de penser qu'en général, la méchanceté n'est pas une preuve d'intelligence.»
«Quand vous êtes très jeune, l’humour est une défense. Par la suite, il peut devenir une arme.»
«A vaincre sans péril, on évite des ennuis !»

« Je ne suis pas moraliste, je ne donne pas de leçons, je n'ai jamais pu me prendre au sérieux, et j'aime faire rire.»
« Qu'achèteriez-vous si vous deveniez très riche ? — J'ai acheté un appartement. »

" Il n'y a pas de définition de l'humour. Un grand humoriste anglais a dit un jour que l’humour le faisait penser à une grenouille : quand on ouvre la grenouille, on sait comment elle fonctionne, mais elle ne vit plus "

le site officiel

06/10/2007

Copinage(s)

Je ne suis pas très assidu sur l'Hispaniola ces derniers temps. Beaucoup de choses à faire. Pourtant, je voudrais bien vous entretenir des derniers albums de Bruce Springsteen et de Stacey Kent, de Jean-Christophe de Romain Rolland que je suis en train de terminer, et du nouvel album de Joe Matt. Ça viendra.

Je prends quand même un peu de temps pour vous signaler deux sorties. Deux livres venus de blogueurs que je fréquente (plus ou moins) assidûment.

Côté bande-dessinée, la sortie de Kaboul disco de Nicolas Wild, sous titré « Comment je ne me suis pas fait kidnapper en Afghanistan ». carnet de voyage bourré d'humour dont vous apprécierez la présentation ICI. Et maintenant, une page de publicité !

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Côté littérature, François Roques, alias Imposture, sévissant Derrière le paravent suédois, sort son premier roman, Le syndrome de Roch. C'est l'histoire d'un homme ordinaire qui découvre qu'il est capable de passer d'une personne à une autre. Point de départ fantastique. Je ne l'ai pas encore lu, je ne lis qu'un livre à la fois mais si c'est aussi bien écrit, aussi drôle et vif que ses billets pour son blog, ça devrait être bien. (Photographie empruntée à son blog).

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Sur Amazon : 

Le syndrôme de Roch

Bonnes lectures.

22/08/2007

Le pôle meurtrier

La littérature de voyage a toujours nourri mon imagination. Récits d'explorateurs, carnets de voyages, trajets surhumains, j'adore ça et éprouve une fascination toute particulière pour les explorations polaires. Celle du capitaine Robert Falcon Scott ajoute une dimension tragique à ces épopées humaines. L'histoire de l'expédition de 1910-1913 menée par Scott dans le but d'atteindre le Pôle Sud est l'histoire d'un échec sublimé par le sacrifice de ses acteurs. Et le récit qui nous en est parvenu est d'autant plus touchant qu'il est constitué d'un ensemble de notes prises au jour le jour et que Scott a tenu jusqu'au bout. Les carnets de son journal seront retrouvés sur son cadavre congelé. Scott et ses quatre compagnons étaient arrivés au pôle, le 17 janvier 1912 pour y découvrir que le norvégien Amundsen les y avait précédés d'un mois. Certainement déçus, ils se remettent en route avec le moral en berne et des conditions climatiques qui se dégradent rapidement. La petite caravane, qui tire elle même son traineau, s'affaiblit rapidement. Evans le premier décline, sa raison le lâche et, après une syncope, il meurt au pied du glacier Beardmore. La température descendant plus que prévu (aux environs de -40°C), le gel mord les hommes et le plus touché, Oates, perd l'usage de ses pieds et de ses mains. A bout, il finit par sortir de la tente en plein blizzard, se sacrifiant pour ses camarades. En vain. Scott, Wilson et Bowers n'en peuvent plus et le temps s'acharne contre eux. Impossible de marcher contre un vent debout du nord. Des dépôts de vivres et de carburant jalonnent leur piste, mais ils sont trop faibles pour parcourir les kilomètres nécessaires. Finalement, à moins de vingt kilomètres du dépôt « One ton camp » qui aurait pu les soulager, sans plus de combustible ni de vivres, ils sont cloués dans leur tente par un terrible blizzard. Ils y resteront au moins dix jours avant la dernière entrée du journal de Scott, si poignante : « C'est épouvantable, je ne puis en écrire plus long. R.Scott. Pour l'amour de Dieu, occupez vous des nôtres. ». Ils seront retrouvés par une équipe de secours six mois plus tard.

Contrairement à nombre de récits de voyage écrits à postériori et revus à partir de notes ou de souvenirs, Le Pôle meurtrier est un document brut, avec ses répétitions, ses indications techniques (température, latitude, longitude, etc.), ses manques et ses erreurs dues à leur prise immédiate (interprétation de faits modifiés par la suite, difficultés rencontrées, tragique de la situation finale). Le récit nous donne le portrait d'un homme très anglais, un peu raide, certain de prendre les bonnes décisions (ce qui sera discuté par la suite) mais complètement habité par sa passion. Cette passion des espaces à conquérir qui faisait l'étoffe des explorateurs de ce temps. Espaces dans lesquels ils avaient le sentiment de s'accomplir en tant qu'hommes et gentlemen pour la plus grande gloire de leur pays. Si la déception se laisse lire entre les lignes à la découverte de la victoire du norvégien, Scott essaye de donner le change dans son journal et de se montrer fair-play. Je ne sais sur quelles bases on raconte qu'il avait été profondément vexé d'être arrivé second. De même le récit du retour est une suite de moments d'inquiétude, de désespoir mais aussi d'espoir lorsqu'ils arrivent à un dépôt ou que les conditions atmosphériques s'améliorent quelque peu. Passé un moment, Scott ne cache pourtant plus qu'ils sont sans doute condamnés mais, jusqu'au bout, il ne semble pas considérer cette fin comme un échec, mais comme un exemple. C'était une autre époque.

La mort de Scott fit grand bruit à l'époque, allant jusqu'à éclipser la victoire méritée d'Amundsen. Le Pôle meurtrier fut édité en France dès 1914 chez Hachette avec des photographies splendides dues à Herbert G. Ponting. Cette expédition comprenait de nombreux membres en plus des cinq hommes qui atteignirent le pôle, dont de nombreux scientifiques. C'est peut être l'une des clefs de l'échec final de Scott. Amundsen était venu pour gagner une course et mit les moyens nécessaires pour ce faire. L'expédition de Scott était tout autant destinée à arriver le premier au Pôle qu'à effectuer de nombreuses recherches. Lors du retour, les hommes épuisés firent une halte dans le glacier de Beardmore pour collecter des échantillons de roches qu'ils trainèrent avec eux quasiment jusqu'au bout.

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Photographie prise le 17 janvier 1912 au Pôle. De gauche à droite : Wilson, Scott et Oates (debouts), Bowers et Evans (assis). Source Wikipedia (domaine public).

Le livre

Article sur Transpolair, les expéditions de Scott

Article sur Wikipedia (en anglais)

29/07/2007

Critixman, petit texte

Critixman est né dans les notes du blog de Manu Larcenet. L'ancien puisque le dessinateur a décidé de changer récemment d'adresse. Critixman a tout lu, tout vu et sa parole est sage. Entre mauvais génie et mauvaise conscience, il terrorise un brave dessinateur à casquette complètement perturbé dans son acte créatif par les coups moraux et physiques assénés avec régularité par le super critique.

L'un des aspects les plus fascinants de l'oeuvre de Larcenet, c'est qu'elle se nourrit des questions de son auteur sur son propre travail. Larssinet aux ravenelles, Van Gogh dans les tranchées ou Manu et ses photographies, tous s'interrogent sur leur travail et son sens. Face à leurs commanditaires, familles, galleristes, éditeurs, collègues et bloggeurs qui ne cessent de verser du sel sur les plaies d'une sensibilité à vif, les créateurs sont rongés par le doute et vulnérables à la dépression. Ils sont à la fois anxieux d'avoir un regard extérieur sur leur oeuvre mais se refusent aux jugements légers ou dictés par la mode. Exigeants avec eux-mêmes, ils le sont aussi avec ceux qui font profession de parler d'art et de se posent en juges du beau et du vrai. Vaste problème de la critique, d'autant plus complexe qu'avec l'explosion d'Internet et maintenant des blogs, n'importe qui peut s'ériger en maître à penser. D'une part cela donne accès à un large public à de véritables amateurs autrefois fanzineux passionnés, d'autre part, cela donne un poids inédit à des textes indigents écrits par des charlots sur des plates formes à grande diffusion.

Larcenet n'a pas hésité à intervenir dans le débat critique autour de ses bandes dessinées, au risque des malentendus et des crispations. Critixman est une sorte d'exorcisme défoulatoire, incarnant tout ce qui révulse son créateur dans la critique « officielle » qui peut être arrogante, méprisante, blessante et le parfois stupide. L'exercice est difficile car à double tranchant. Larcenet l'exécute avec son humour habituel et modestie, l'ouvrage étant sortit chez Les Rêveurs. Une pointe d'amertume aussi avec la conclusion radicale. L'une des qualités de ce petit livre est de montrer aussi sans fausse pudeur les ravages psychologiques que la critique peut provoquer chez l'auteur. Je me contente d'espérer que Larcenet est un peu plus blindé contre la bêtise. L'objet est charmant, petit format délicat qui se commande directement chez l'éditeur.

 

Le site des Rêveurs

Chronique sur du9

Chronique sur Bdnews

Chronique sur Chronicart

26/06/2007

Critixman

Aux Rêveurs

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24/06/2007

Le château

« ...et puis la porte se referma. »
Je viens juste de sortir du Château. Ce roman inachevé de Franz Kafka m'a immédiatement fait penser à ce feuilleton fameux des années 60, Le prisonnier avec Patrick McGoohan. Il y a le village, sans nom, aux habitants aux étranges manières. Il y a l'homme venu de l'extérieur qui bouscule l'ordre établi et se revendique en tant qu'être (Je ne suis pas un numéro ! Criait le prisonnier). Il y a les différentes castes : fonctionnaires invisibles, valets, messagers, villageois et une présence au-dessus de tout cela qui n'est pas nommée. Et puis des femmes, parfois aux côtés du héros, parfois travaillant à sa perte. Et puis surtout, cette atmosphère étrange, quasi fantastique, paranoïaque, de cauchemar éveillé, avec sa logique propre et son humour noir qui ponctue les vains efforts du héros.

K. est arpenteur. K. est ce héros sans nom lui aussi. Il arrive au village, engagé par le château, mais il ne semble pas attendu et, rapidement, encore moins désiré. Y a-t'il eu erreur sur la convocation ? K. Va entamer une lutte obstinée et résolue pour faire valoir ses droits. Une lutte complexe pour accéder à l'étrange pouvoir qui règne au château et régit la vie de tous. Un pouvoir qui agit à distance, dont la distance même est la force la plus redoutable. K. ne parviendra pas au château, il ne pourra même pas accéder jusqu'aux fonctionnaires subalternes qui descendent parfois s'occuper de leurs affaires au village. Ironiquement, le roman s'achève alors que K. est sur le point de rencontrer enfin l'un d'eux. Un inachèvement qui parachève cette impression de cauchemar, toujours interrompu au mauvais moment.

Mais l'enjeu n'est pas là. Il est dans la lutte, car K. se bat, courageusement, inlassablement. Il questionne, manoeuvre, refuse, s'affirme. Il parle. Le corps du livre est fait de longues conversations, plutôt des échanges de monologues, entre K. et celles qui sont à la fois ses précieuses alliées et ses meilleures ennemies : les femmes, Frieda qu'il veut épouser après l'avoir séduite, Olga et sa soeur à la terrible destinée, la patronne de l'auberge. Longs échanges où l'on progresse difficilement dans la jungle des mots. Chaque idée est nuancée et précisée avec de multiples précautions.

Le château est fascinant. J'ai aimé me perdre dans les longues tirades de K. et de ses contradicteurs. Il se prête bien sur à de multiples interprétations. Il y a celle liée à la religion, qui me touche donc peu. K. essayerait de s'élever vers la Grâce symbolisée par le château et transcender sa condition d'homme. Il y a la plus évidente critique ironique du fonctionnement de la société, de la façon dont elle pèse sur nos existences. Nous sommes là proche de l'Orwell de 1984 et de La ferme des animaux. C'est une grille de lecture peut être plus pertinente que jamais aujourd'hui où nous nous débattons dans des vies normées, encadrées fichées avec toujours plus d'efficacité et l'illusion (relative ?) de la liberté. On peut également être sensible à la lecture d'une parabole sur le nazisme naissant (le livre date de 1927) et qui rejettera violemment l'oeuvre de Kafka. Ou à une parabole plus large sur le destinée humaine et la solitude comme le sont les autres oeuvres de Kafka.

Mais Le château me semble aussi un grand livre de résistance. Même si Max Brod, l'homme qui fit paraître les ouvrages inachevés, explique en postface que Kafka avait prévu de faire mourir K. pour que son échec soit total. Tel qu'il est, le roman est plus près encore de la vie, toujours irrésolue. L'important est dans le combat ais-je écrit plus haut. K. pourrait partir, quitter le village et ses folies, tenter sa chance ailleurs. Mais non, il choisit en connaissance de cause de rester et de se battre.

J'ai acheté mon exemplaire à Cavaillon, dans un stand de bouquiniste. C'est une jolie édition de 1947, la traduction d'Alexandre Vialatte avec une curieuse couverture de Mario Prassinos. Ce peintre d'origine grecque a illustré Sartre, travaillé avec Vilar à Avignon, il était lié à Queneau, Char et les surréalistes. Je vous montre ça.

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 Le livre

18/05/2007

Un questionnaire

Un questionnaire littéraire auquel j'ai eu envie de répondre, récupéré chez Ludovic (qui lui même avait été sollicité par ailleurs).


Les 4 livres de mon enfance :

Coke en stock de Hergé. Il n'y avait pas que Tintin, mais il y avait beaucoup Tintin

L'Ile mystérieuse de Jules Verne. Le triomphe de l'esprit humain et la possibilité de tout recommencer à zéro. Mon Verne préféré.

Les cinq et le trésor de l'Ile d'Enyd Blyton. J'aime toujours les livres qui racontent un commencement.

2001, l'odyssée de l'espace de Arthur C Clarke. J'avais vu le film et je voulais mieux comprendre. Le livre ne m'a pas beaucoup aidé.


Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore :

Shakespeare.

Ernest Hemmingway.

Primo Levi.

Alexandre Dumas.


Les 4 auteurs que je ne lirai probablement plus jamais :

Ian Fleming

James Fenimore Cooper

Alexandre Jardin

André Chénier


Les 4 premiers livres de ma liste à lire :

Jean-Christophe de Romain Rolland. Depuis que j'ai lu Zweig.

Intégrale de Jean Patrick Manchette. (Déjà bien entamée).

La prisonnière de Montezuma de H. Rider Haggard.

Renoir / Renoir ouvrage collectif de la Cinémathèque française.


Les 4 livres que j'emporterais sur une île déserte :

L'Ile mystérieuse de Jules Verne. Ca s'impose.

Tout Franquin. Ne pas oublier de rire.

Hitchcock – Truffaut. Le livre sur le cinéma.

Le décaméron de Boccace.


Les derniers mots d'un de mes livres préférés :

Elle était certaine que, dans les années à venir, Alice garderait son coeur d’enfant, si aimant et si simple ; elle rassemblerait autour d’elle d’autres petits enfants, ses enfants à elle, et ce serait leurs yeux à eux qui deviendraient brillants et avides en écoutant mainte histoire extraordinaire, peut-être même cet ancien rêve du Pays des Merveilles. Elle partagerait tous leurs simples chagrins et prendrait plaisir à toutes leurs simples joies, en se rappelant sa propre enfance et les heureuses journées d’été.

Alice au pays des merveille - Lewis Carroll 

 

Les 4 lecteurs dont j'aimerais connaitre les 4 :

Comme je n'aime rien imposer, les quatre premiers qui le veulent bien.

 

10/05/2007

Deux bonnes nouvelles (il y en a)

Réaction à chaud avec le nouveau blog de Frantico : Nico Shark, votre nouveau chef du personnel. Ca commence cool-cool, zen-zen, mais ça devrait prendre rapidement sa vitesse de croisière (au large de Malte, pouf, pouf). Et on peut proposer un scénario. C'est bon de rire, parfois. (Merci pour l'information, Pierrot)

Est-ce que, par hasard, par le plus grand des hasard, sans me risquer aux plus folles hypothèses, avec les précautions les plus précautionneuses, Larcenet et Ferri ne seraient pas en train de nous préparer un épisode de Spirou et Fantasio ? ICI.

04/05/2007

Anniversaire

Certes, nous aurions pu les convaincre et les conquérir,

Car l'angoisse de l'ouragan est émouvante.

Oui, l'ouragan allait bientôt venir ;

Mais cela valait-il la peine que l'on en parlât et qu'on dérangeât l'avenir ?

Là où nous sommes, il n'y a pas de crainte urgente.

 

René Char

1907 - 1988

01/05/2007

Le petit démagogue

Les lecteurs de l'Hispaniola savent combien j'apprécie les articles de Jean-Luc Porquet dans le Canard Enchaîné. Il vous reste moins d'une semaine pour trouver et lire (mais ça se lit vite) Le petit démagogue publié par Porquet aux éditions de la Découverte. Le petit démagogue en question est bien sûr l'ex-ministre candidat peut-être bientôt président. Le livre est une « version entièrement actualisée, remaniée et sarkozyée » de Le faux parler paru en 1992. C'est à la fois drôle et inquiétant, c'est aussi malheureusement le genre d'ouvrage qui ne touche généralement que ceux qui sont déjà plutôt convaincus. Pour peu que l'on s'intéresse de façon critique à Nicolas Sarkozy, on n'apprendra pas grand chose sur lui ni sur ses méthodes : ses rapports avec les journalistes, son autoritarisme, son culot monstre, ses formules à l'emporte-pièce, son agitation médiatique perpétuelle, ses trahisons, sa culture du résultat, la façon dont il a évacué son piètre bilan. Rien qui n'ai été dit, redit, écrit voire filmé. Porquet en fait une exposition claire et complète et en démonte les mécanismes. Mais bon, qui à l'UMP prendra le temps de lire ce livre ?

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Ce qui est plus original, c'est la mise en parallèle avec les histoires de démagogues plus fameux, plus terribles aussi : Savonarole, le moine florentin, Milosevic, Evita Peron, le général Boulanger, Poujade, il cavalière Berlusconi... Si Nicolas Sarkozy ne peut être mis sur le même plan (c'est un républicain, du moins c'est ce que nous sommes nombreux à nous dire pour nous rassurer), il utilise bel et bien les mêmes méthodes et, en creux, Porquet révèle le secret du succès de son sujet d'observation : son pouvoir de fascination. Car si ainsi exposées avec le recul de l'histoire, les outrances des démagogues semblent énormes jusqu'au ridicule, jusqu'au baroque (il faut lire le portrait de Huey Long, gouverneur de la Louisiane dans les années 20/30 ou le récit des prêches de Savonarole), elles sont aux foules manipulées, dans le feu de l'actualité, frappées au coin du bon sens. Le démagogue est un séducteur. Jusqu'aux réveils, toujours douloureux. Illustrations de Cabu.

Le livre

11/04/2007

Ariane

« O nos visages blêmes, nos mains sur nos bouches tremblantes et nos yeux pleins de larmes. O ce jour-là nos visages... les avons-nous déjà oubliés ? La honte de ce jour-là, l'avons-nous déjà oubliée ? Voulez-vous les revoir, ces visages ? Moi, non. »


Chronique bien troussée d'Ariane Mnouchkine chez Libé, la suite ICI.

22/03/2007

Accusé, levez-vous !

Françaises, français.

Belges, belges.

Cancérologues, cancérigènes, monsieur l'Humoriste.

Mon hébergeur pendu haut et court.

Lecteurs adorés.

Salut ma flemme, bonjour la référence et mon courroux... coucou !


Ah ! Que ces ultimes mots sonnent comme un cri de ralliement culte, et pas seulement du denier, pour toute une génération d'auditeurs radiophoniques. Mais pas pour moi. Non, chers lecteurs, non je n'écoutais pas la radio entre 1981 et 1983, Dieu me tripote (merci mon dieu). Ni avant, ni après. Ni radio ni, un peu plus tard, télévision. C'est une hygiène de vie, il y a suffisamment de conneries sur Internet. Mais nous ne sommes pas là pour parler de moi, mais de l'accusé ci-devant Desproges, Pierre de son prénom, censément humoriste de profession et accusé, crime impardonnable, d'être mort. Desproges Pierre dont je n'hésiterais pas à demander la tête si c'était encore possible. Car un humoriste, ça ne meurt pas comme cela, monsieur, surtout s'il a le malheur d'être drôle. Et jeune avec ça ! C'est un coup à vous statufier, vous mythifier, vous empailler, vous intouchabiliser. C'est un coup à ce que votre éditeur vous ressorte un tirage spécial sur joli papier avec extraits de manuscrits et marque page collector, ça ! Un coup à ce que l'on publie la moindre de vos liste de courses au supermarché du coin rédigée en hâte sur un ticket de métro, ça ! Un coup à vous sanctifier aussi, car qui oserait dire aujourd'hui, mis à part quelques pisse-froid grabataires, staliniens ou nostalgiques du maréchal nous voilà, qui oserait dire ou écrire que vous étiez un humoriste médiocre, vulgaire, atrabilaire et obsédé, déversant votre hargne, votre haine avec un H comme Halimi, et vos jeux de mots laids pour gens bêtes à travers des média complaisants et naïfs qui ne connaissaient pas encore les subtilités du Loft et de la Star Academy, et sous la couverture d'un vernis de relative maîtrise de la langue française ? Qui ? Qui que je te me le... et sans gants encore. Car soyons francs, chers lecteurs, que pouvait-on attendre d'un homme qui ne connaissait ni les blogs, ni les forums, ni les portables, merveilles de notre technologie moderne, un homme allant jusqu'à écrire ses textes à la main ? Et pourtant, cet homme que vous aimeriez avoir devant vous, n'hésita pas en ces premières années d'une France socialiste, pouf, pouf, à s'emparer de la robe sacrée de la justice sous laquelle je ne vous dis pas, pour se faire Fouquier-Tinville d'opérette et instruire les cas pendables de figures aussi marquantes que Daniel Cohn-Bendit, PPDA, Dorothée, Pierre Perret, Claire Bretecher, Yannick Noah, José Giovanni, sans oublier le gros borgne blond national qui lui inspira cette phrase définitive : «  On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui ». L'acte d'accusation, chers lecteurs, est édifiant. Il est là, devant vous, 370 pages des réquisitoires du tribunal des flagrants délires. Car Desproges, Pierre, est coupable, mille fois coupable de nous avoir laissé en plan comme ça, sans sa parole à « désacraliser la bêtise » et cet ouvrage, hilarant, émouvant, indispensable, vous en convaincra mieux que moi.

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Le site de l'accusé

L'accusé sur Wikipedia

Une vidéo de l'accusé

Le livre(et le reste du dossier)

14/03/2007

L’histoire des Gauches en France

Je viens de refermer la dernière page du second tome du gros pavé de L’histoire des Gauches en France. Livre somme dirigé par Jean-Jacques Becker et Gilles Candar aux éditions la Découverte. C’est un brillant voyage à travers un peu plus de deux siècles d’idées, de luttes, d’hommes et de femmes, des différents courants et mouvements qui ont composé les Gauches françaises. Car bien avant d’être un temps « plurielle », la Gauche en France a toujours pris de multiples visages. Révolutionnaires de 1789, 1792, 1794, 1830 et 1848 ; bonapartistes un temps, défenseurs de la République en 1851, membres de la Commune en 1871, socialistes, radicaux, communistes, anarchistes, situationnistes, syndicalistes… Vaste monde !

Cet ouvrage long mais d’une lecture aisée et prenante visite toutes les familles, s’attache aux grands moments constructeurs de grands mythes : l’affaire Dreyfus, le combat laïque, le front populaire, la Résistance, mai 68, l’Union de la Gauche… Les grandes figures défilent, Jaurès et Blum entre autres pour un cours de rattrapage pour candidat ignorant, comme les grandes idées, du marxisme inévitable à la laïcité indispensable en passant par les utopies du XIXe et celles de mai 68, encore, pour conclure sur un portrait contrasté de l’homme de gauche en l’an 2000.

Je suis plutôt content d’avoir terminé cette lecture enrichissante avant les élections. C’est toujours utile de savoir un peu d’où l’on vient. D’autant que les nombreux auteurs de cette histoire ne sont en rien dogmatiques et n’hésitent pas, au fil des chapitres, à pointer les contradictions, renoncements, impasses et glissement des gauches. Ainsi le bon vieux débat entre révolution et réforme est aussi vieux que la notion de gauche elle-même. Il est au cœur de la scission historique de 1920 entre socialistes et communistes et semble toujours vivace aujourd’hui à suivre les dernières péripéties politiques. Plutôt réformiste moi-même, je note que l’essentiel des avancées, je veux dire des avancées réelles qui constituent depuis deux siècles l’identité que ce que j’appellerais le camp progressiste, ont été rendus possibles par l’alliance d’une grosse dose de réformiste (et donc de compromis) avec une pointe de grand soir. Mais juste une pointe.

Bon, je ne sais pas trop comment ça va tourner en avril-mai. Depuis quelques années, on a le sentiment qu’une page se tourne mais qu’elle a du mal à le faire. Que les Gauches, l’institutionnelle autour du Parti Socialiste et la radicale autour des mouvements altermondialistes qui peinent à s’unir, ont du mal à bien saisir ce monde qui bouge trop vite et à l’accompagner comme aux grandes heures. Mon vieux fond optimiste me pousse à penser que ça va se tasser et puis, sans recul, on y voit que dalle. Dans l’attente, lecteur chéri, je ne saurais trop te conseiller cette saine lecture de ces deux tomes qui trouveront une place de choix dans toutes les bibliothèques de goût. Même celles qui ne sont pas spécialement à gauche.

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Une critique dans Lire

Un long article dans les clionautes

Le livre

18/12/2006

Jérusalem d'Afrique

D'une longueur inhabituelle, le nouveau volume des aventures du chat du rabbin est un éclatant retour à ce qui fait pour moi le meilleur de la série de Joann Sfar. Sans être insensible à la mélancolie prenante du précédent opus centré sur le Malka des lions, j'avais eu l'impression que l'auteur digressait. Qu'il cherchait une direction. Le chat ne parlait plus aux humain, ou plutôt il n'était plus écouté par eux. Du coup je perdais tout le sel des échanges dialectiques du premier volume, tout comme le miel de la présence de sa fille Zlabya, réduite à de la figuration.

Retour sur les chapeaux de roues avec la découverte d'un peintre russe dans une caisse pleine de vieux livres et rouleaux sacrés. Le chat retrouve la parole, comprend le russe et devient interprète. Il y retrouve toute sa verve avec sa fonction, son plaisir de la discussion et des mots acérés comme ses griffes. Zlabya et sa robe sensuelle illuminent nombre de pages, son regard de feu transperce son mari trop tiède et se laisse séduire par le peintre. C'est le bonheur.

Et puis voici notre chat, son rabbin et le peintre embarqués sur une des Citröen de la croisière noire dans un périple à travers l'Afrique en compagnie d'un immigré russe, noble et duelliste qui fait penser à certains personnages de Pratt. Se joint à eux un cheik collectionneur de chansons. C'est l'Aventure. Ils croiseront une tribu arabe prétexte à une confrontation des civilisations assez rude, un sultan du désert, un Tintin joliment égratigné, une ravissante serveuse noire et, peut-être, leur rêve d'une Jérusalem d'Afrique.

J'ai retrouvé tout mon enthousiasme pour cette série si originale. Tout en me disant que n'étant pas de culture juive, certaines choses me passaient sans doute au dessus de la tête. Mais Sfar est pédagogue et n'hésite pas à préciser dans ses dessins tel ou tel détail comme le nom des pâtisseries. Et il annonce déjà, comme dans James Bond, que la chat reviendra dans une « tragédie érotique ». J'ai hâte.

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Critique sur Auracan

Critique sur bdselection

Joann Sfar sur Wikipedia

Le site officiel

Le livre

01/12/2006

Les belles histoires d'oncle Bernard

Voici un économiste que je comprends quand il me parle d'économie. Bernard Maris, dit Oncle Bernard dans Charlie Hebdo, vient de sortir le tome 2 de son anti-manuel d'économie aux éditions Bréa. Après les fourmis, cette seconde partie est logiquement consacrée aux cigales.

 

Voyez la violence actuelle des charges contre les 35 heures ! Elles posaient pourtant la question d'un nouvel humanisme : la qualité de la vie. Elles sont dangereuses, nous dit le capitaliste. Au rêve de la fin du travail, on oppose le travail sans fin. Au possible épanouissement dans le boulot, on oppose la compétition à marche forcée.
 
Entretien par Christian Losson - Libération 
 
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Un entretien dans Libération

Un article de Jean Zin sur le tome 1

Les livres

23/11/2006

La réponse de Kipling

En 1891, Rudyard Kipling, que l'on sait friand de la chose militaire, compose ce poème, comme une réponse à celui de Tennyson, avec l'intention d'attirer l'attention sur la façon déplorable dont l'Angleterre traitait ses héros. Il y a quelque chose de fordien là-dedans.
     
There were thirty million English who talked of England's might,
There were twenty broken troopers who lacked a bed for the night.
They had neither food nor money, they had neither service nor trade;
They were only shiftless soldiers, the last of the Light Brigade.

They felt that life was fleeting; they knew not that art was long,
That though they were dying of famine, they lived in deathless song.
They asked for a little money to keep the wolf from the door;
And the thirty million English sent twenty pounds and four!

They laid their heads together that were scarred and lined and grey;
Keen were the Russian sabres, but want was keener than they;
And an old Troop-Sergeant muttered, "Let us go to the man who writes
The things on Balaclava the kiddies at school recites."

They went without bands or colours, a regiment ten-file strong,
To look for the Master-singer who had crowned them all in his song;
And, waiting his servant's order, by the garden gate they stayed,
A desolate little cluster, the last of the Light Brigade.

They strove to stand to attention, to straighten the toil-bowed back;
They drilled on an empty stomach, the loose-knit files fell slack;
With stooping of weary shoulders, in garments tattered and frayed,
They shambled into his presence, the last of the Light Brigade.

The old Troop-Sergeant was spokesman, and "Beggin' your pardon," he said,
"You wrote o' the Light Brigade, sir. Here's all that isn't dead.
An' it's all come true what you wrote, sir, regardin' the mouth of hell;
For we're all of us nigh to the workhouse, an, we thought we'd call an' tell.

"No, thank you, we don't want food, sir; but couldn't you take an' write
A sort of 'to be continued' and 'see next page' o' the fight?
We think that someone has blundered, an' couldn't you tell 'em how?
You wrote we were heroes once, sir. Please, write we are starving now."

The poor little army departed, limping and lean and forlorn.
And the heart of the Master-singer grew hot with "the scorn of scorn."
And he wrote for them wonderful verses that swept the land like flame,
Till the fatted souls of the English were scourged with the thing called Shame.

O thirty million English that babble of England's might,
Behold there are twenty heroes who lack their food to-night;
Our children's children are lisping to "honour the charge they made-"
And we leave to the streets and the workhouse the charge of the Light Brigade!
     
The last of the Light Brigade
Rudyard Kipling